La Razette

Où du capillaire au « a cappella », il n’y a qu’un cheveu.

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Connaissez-vous les barbershop quartets ? Peut-être pas sous ce nom, mais vous en avez certainement déjà vu ou entendu quelque part. Ce quatuor de chanteurs a cappella est un élément incontournable de la culture barbershop. Très ancré dans l’histoire américaine, le barbershop quartet est encore relativement peu connu en France, ou en tout cas juste en surface. Accordez-vos cordes vocales, accrochez-vous à vos bretelles, La Razette vous emmène à la découverte des Barbershop Quartets.

Qu’est-ce qu’un Barbershop Quartet ?

Le « barbershop quartet », ou quatuor de salon de coiffure, est une formation de chanteurs a cappella typique des Etats-Unis. Il se compose de quatre interprètes chantant une harmonie à quatre voix avec une texture homophonique. Pour créer le son emblématique du barbershop, chaque chanteur chante le même mot en même temps, mais sur une note différente, en harmonie avec la voix de ténor principal. Une deuxième voix de ténor monte plus haut, la basse descend plus bas et le baryton complète l’accord.

L’harmonie Barbershop trouve ses racines dans les traditions afro-américaines de la fin des années 1800 dans le sud des Etats-Unis d’Amérique. Les salons de coiffure étaient alors un endroit très fréquenté, et il ne passait pas un jour sans qu’un client ne se mette à pousser la chansonnette, vite repris ou complété par un autre client ou même un coiffeur. Elle est aujourd’hui un style musical à part entière, et trouve des adeptes, des associations et clubs dans le monde entier.

La tenue que porte les quatre membres fait partie intégrante du mythe. Bien que l’imaginaire commun y voit des vestes à rayures comme un barber pole, des canotiers et des nœuds papillons, ce qui compte avant tout est l’harmonie du groupe. Et oui, l’harmonie est le maître-mot des chanteurs d’un barbershop quartet ! Il parait curieux de retrouver des éléments du salon de barbier (les rayures du barber pole notamment) dans la tenue de ces fameux quatuors, alors qu’ils ne chantent plus dans les salons depuis longtemps. On verra plus loin que c’est surtout une question de nostalgie.

Origine des barbershop quartets

Les origines du Barbershop Quartet sont diverses, ce sont en fait plusieurs influences qui se (re)coupent. Plus globalement, il en ressort une certaine nostalgie, qui revient d’une période à l’autre, et qui ajoute sa part de nouveauté ou de retour aux sources à chaque fois. On peut noter toutefois un grand avant / après durant les années 1920-1930.

Avant 1920

La « close harmony » populaire ou « chant d’harmonisation » est apparemment née en Angleterre au 17ème siècle (l’Allemagne et l’Autriche avaient également des chants populaires harmonisés) et est arrivée en Amérique du Nord au 19ème siècle. Entre 1840 et 1850, des troupes de ménestrels comprenaient des quatuors interprétant des ballades populaires. Le chant en quatuor était un passe-temps national, qui a évolué sous l’influence musicale des afro-américains et des hommes qui improvisaient dans les bars, les saloons et les salons de coiffure. En effet à partir des années 1880 et 1890, la communauté noire a harmonisé de manière récréative les chansons populaires de l’époque ainsi que les chansons folkloriques et spirituelles, en improvisant des harmonies selon une pratique musicale afro-américaine ancestrale. On a donc deux origines lointaines qui se rencontrent aux Etats-Unis au 19ème siècle.

En 1910, ce style musical a acquis officieusement le nom de « barbershop » lors de la publication de « Mister Jefferson Lord, Play That Barbershop Chord » (Monsieur Jefferson Lord, jouez cet accord de barbershop). Les partitions pour cette chanson se sont vendues à millions, rendant ainsi populaire le style musical des barbershop quartets.

Ensuite, le développement du microphone modifie la façon dont les quatuors enregistrent cette musique et fait place aux « crooners » solistes. La popularité de la radio diminue le besoin de musique en direct, et la Grande Dépression affecte les chansons mélodiques populaires, rendant l’harmonisation plus difficile.

Après 1935

À la fin des années 1930, bien que les foyers étaient encore très musicaux, avec des pianos dans la plupart des salons, les hommes qui harmonisaient ensemble étaient devenus bien plus rares et certainement beaucoup moins populaires que 30 ans auparavant.

Un jour de 1938, deux amis se rencontrent par hasard à Kansas City et discutent de la création d’un festival de chant. À son retour à Tulsa, l’un d’eux rédige une invitation qu’il envoie par la poste aux 14 chanteurs qu’il sait susceptibles de venir et les encourage à amener des invités au Tulsa Club – un endroit de grande classe et une destination populaire pour les dîners spéciaux, les mariages et les réunions.

La date est fixée au lundi 11 avril à 18h30, la réunion s’est tenue sur le « rooftop ». Sur 14 invités, 26 sont venus. Ils ont chanté et harmonisé de vieilles chansons pendant plusieurs heures, plusieurs d’entre eux se séparant alors en quatuors. Apparemment, certains membres du club de Tulsa des étages inférieurs se sont plaints du bruit. La semaine suivante, le 18 avril, ils se sont donc retrouvés dans un autre hôtel. 70 hommes se présentent à cette deuxième réunion, ce qui montre que l’idée suscite de l’intérêt et constitue peut-être une première indication de la croissance future.

Fin mai, le groupe nouvellement formé commence à se réunir à l’Alvin Plaza Hotel et accueille 75 à 150 hommes chaque semaine. Ils continueront à se réunir à l’Alvin pendant 37 ans ! La plaisanterie populaire est la suivante : « 26 hommes ont participé à la première réunion du 11 avril 1938… J’en ai rencontré 150 ». Aujourd’hui ce groupe se nomme la Barbershop Harmony Society, la première instance de protection et de promotion du chant « barbershop » et des Barbershop Quartets.

Voir et découvrir les barbershop quartets de la Barbershop Harmony Society sur Youtube.

Les costumes

Les barbershop quartets traditionnels portent généralement des ensembles assortis composés de vestons ou de blazers à rayures verticales, de nœuds papillons et de chapeaux de paille, souvent dans des couleurs primaires éclatantes. Certains quatuors adoptent des variations de ce style ou ont leur propre style. On a donc soit quatre costumes identiques, soit une variation simple parmi des caractéristiques identiques. Les rayures verticales rappellent évidemment les poteaux de barbiers (barber poles). Les chanteurs sont le plus souvent impeccablement rasés, et il n’est pas rare d’en voir porter une moustache soignée.

En compétition, les quatuors de barbershop portent généralement des tenues coordonnées pour marquer leur appartenance à un même groupe. L’impression visuelle d’un groupe est évaluée dans le cadre de la note de « showmanship ». Les juges de la Barbershop Harmony Society savent que l’esthétique est importante pour la réussite d’une compétition : « Le juge réagit à la fois aux aspects vocaux et visuels de la performance, mais il évalue principalement l’interaction de ces aspects qui travaillent ensemble pour créer l’image de la chanson ».

Traditionnellement, la tenue vestimentaire des quatuors de barbiers se composant d’un gilet, d’un chapeau de paille et de guêtres, souvent avec un nœud papillon et des jarretières sur les manches ; c’est ce que l’on appelle le style Gay Nineties. Les Gay Nineties sont un terme nostalgique américain et une périodisation de l’histoire des États-Unis faisant référence à la décennie des années 1890. Au Royaume-Uni, il est connu sous le nom de « Naughty Nineties » et fait référence à la décennie de l’art prétendument décadent d’Aubrey Beardsley, des pièces de théâtre pleines d’esprit d’Oscar Wilde, des scandales sociaux et du début du mouvement des suffragettes. Dans la culture populaire, ce style illustre le stéréotype du quatuor de barbiers.

Nostalgie

Dick Van Dyke

L’acteur, chanteur et danseur Dick Van Dyke, qui interprète Burt en 1964 dans le film Mary Poppins, porte un costume a rayure et canotier. Bien qu’il soit seul et non pas en quatuor, on peut l’associer au style barbershop. D’ailleurs, Dick Van Dyke est un membre émérite du club américain de la Barbershop Harmony Society. Revoir un extrait de Mary Poppins avec Dick Van Dyke. Le film est de 1964, tiré d’un livre des années 1930, qui se passe en 1910… Tout est bon pour utiliser la nostalgie. Et en reparler aujourd’hui n’en est-il pas également ?

Revenons à Dick Van Dyke. Savez-vous que son barbershop quartet actuel, Dick Van Dyke & The Vantastix, s’est formé par hasard en 2000 dans un café ? Et ils chantent toujours… Cette rencontre fortuite est un bel écho aux rencontres dans les salons de coiffure un siècle (voir plus !) plus tôt. C’est donc une tradition qui se répète.

Les Dapper Dans de Disneyland

Les Dapper Dans sont les quatuors de barbiers que l’on retrouve dans plusieurs parcs Disney. Il y en a un depuis 1959 à Disneyland en Californie, un depuis 1971 à Walt Disney World en Floride, et d’autres ont suivi dans certains autres parcs. Ils chantent, dansent la claquette et jouent d’instruments amusants dans la rue principale du parc d’attraction. Chaque parc a son barbershop quartet qui s’appelle les Dapper Dans. Les tenues portées par ces artistes varient en fonction de l’endroit où ils se trouvent, mais elles comportent toutes des gilets et des chapeaux de paille. Découvrez les Dapper Dans de Walt Disney World chanter « Happy Birthday » dans cette vidéo :

Dapper Dan est un nom que l’on retrouve de temps en temps dans la culture anglo-saxonne. Il désigne un homme élégant, soigné. N’est-ce pas le cas des chanteurs de ce barbershop quartet ? Une marque Dapper Dan de produits de soins pour homme a d’ailleurs vu le jour en Angleterre en 2011.

A la télévision

Puisque le barbershop quartet est établi comme membre à part entière de l’imaginaire commun (oui bon, surtout aux Etats-Unis), amusons-nous à en retrouver par ci par là. South Park, les Simpsons, Friends, Family Guy, Go On… Les barbershop quartets permettent des épisodes décalés et amusants. Dans ce fameux épisode de Friends, le quatuor intervient pour délivrer des messages chantés. Certains quatuors américains continuent cette tradition de télégrammes chantés !

Et le rasage dans tout ça ?

Mugs de barbiers, tasses à moustache, tout se recoupe, les quatuors de chanteurs sont finalement assez souvent représentés ! Moustachus, chapeautés, à costume rayés, ça y est on les voit partout. Même Disney s’y met en costumant non plus ses comédiens mais ses personnages mythiques. On trouve également en brocante d’autres objets « masculins » (cendrier, stand de bouchons pour bouteilles, ouvre-bouteilles…) à l’effigie de quatuors de barbiers. 

Quatre chanteurs, cinq voix ?

Bien sûr, il y a quatre corps en veston rayé, chapeau de paille et nœud papillon, mais il y a bien cinq voix. Le deuxième ténor ouvre la voie avec une ligne mélodique principale, sur laquelle le premier ténor pose une harmonie aiguë. Le baryton s’occupe des médiums, tandis que la basse, la voix la plus grave des quatre, pose une base solide. Mais lorsque les harmoniques de ces quatre voix parfaites s’unissent et fusionnent, une cinquième voix invisible émerge de l’éther, une apparition auditive partout mais nulle part qui n’est pas sans rappeler l’effet des moines bouddhistes psalmodiant dans un temple antique massif. Ce phénomène de cinquième voix unifiée est connu sous le nom de coïncidence harmonique, bien qu’il soit loin d’être une coïncidence, un accident ou un coup de chance.

Lorsque quatre voix humaines bien accordées chantent une super-septième, les dissonances harmoniques sont minimes, les harmoniques sont renforcées, la richesse harmonique est égale et le son peut être ressenti comme en 3-D. Vous ne pouvez pas vous y tromper, les signes sont clairs. Les harmoniques résonneront dans vos oreilles, vous ressentirez un frisson dans la colonne vertébrale. Des bosses apparaîtront sur vos bras. Vous vous soulèverez un peu sur votre siège ».

Les fans de Barbershop appellent cette sensation le septième ciel et une fois qu’on l’a vécue, il est difficile de l’oublier. A vous de jouer ! Dans la vidéo ci-dessous, lors de la note finale sont-ils vraiment seulement quatre à chanter ?