Où l’on apprend que l’idée du recyclage ne s’est pas faite en un jour.

On voit depuis peu les fabricants de rasoirs et de lames de rasoir de sûreté proposer des petits réceptacles pour lames usagées. De nos jours, le recyclage fait partie intégrante de notre mode de vie, et ce petit objet a une place évidente dans la salle de bain. Mais saviez-vous que ce petit objet n’a pas toujours été là, ni sous cette forme ?

Un problème : plusieurs solutions

Les prémices du jetable

Au XIX ème siècle, l’homme se rasant lui-même utilisait un rasoir droit, ou un rasoir de sûreté à lame rabot après 1870. Ce dernier était souvent présenté avec plusieurs lames de rechanges, on pouvait ainsi en avoir toujours une d’avance pendant que les autres se faisaient réaffûter. Quand Gillette invente le rasoir de sûreté à lame jetable à la fin du XIX ème siècle, puis le commercialise en 1903, le succès n’arrive pas tout de suite. Le consommateur apprécie le rasoir Gillette et cette nouvelle façon de se raser, mais a encore du mal à jeter ses lames, car à l’époque on ne jetait rien ! 

Semainier de rasoirs droit « Lund », rasoir rabot « Mikado » avec une lame par jour de la semaine, et rasoir Gillette Double Ring avec une boîte pour les lames neuves, et une boîte pour les lames usagées.

Affûtage et repassage des lames de sûreté

Puisque les consommateurs ne souhaitaient pas jeter leurs lames, et que celles-ci étaient plus épaisses que de nos jours, on pouvait alors les faire réaffûter chez un coutelier (on retrouve parfois au dos des enveloppes de lames les dates de réaffûtages successifs), ou investir dans un repasseur. Le repasseur est un objet qui permet de passer et repasser la lame sur un abrasif léger (cuir enduit de pâte, cuir nu, pierre…) pour lui redonner du tranchant. Un marché florissant de ces objets a explosé dans les années 1920-1930, suivant l’avancée des ventes de rasoirs de sûreté. Nous en parlions dans notre saga sur le rasage en France au XXème siècle. Une manipulation devenue désuète aujourd’hui car les lames sont devenues trop fines, et leur revêtement spécial n’apprécierait pas.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Quand un objet ne servait plus, on réfléchissait plus à une réutilisation qu’à un recyclage. Quand les lames avaient été réaffûtées plusieurs fois et qu’elles étaient vraiment en fin de vie, on pouvait encore les utiliser dans des taille-crayons, couteaux de poche, gratte-vitres… Et même chez les photographes et monteurs de cinéma, pour couper les pellicules. Garder pour réutiliser était une manie qui coulait de source, mais qui fut également renforcée en Europe par les deux guerres mondiales. Chaque pièce de métal pouvait être réutilisée pour l’effort de guerre, on ne les jetait donc pas n’importe où.

Dangers domestiques

En Europe, les lames ne finissaient jamais à la poubelle. En Amérique du Nord par contre, les guerres étaient plus loin et les esprits n’étaient pas marqués de la même façon. Dans les années 1930/1940, une fois qu’il était devenu courant de jeter ses lames, on ne se posait pas trop de questions. Les déchets domestiques étaient souvent incinérés sur place, et on réutilisait les cendres pour le jardin. Ces feux domestiques n’atteignant pas une chaleur suffisante pour faire fondre les métaux, il arrivait souvent de retrouver les lames dans les massifs ! Comme quoi il n’y a pas que les roses qui piquent.

Les murs ont des lames

Dans les années 1950, afin d’éviter les accidents domestiques, et faute de mieux, les installateurs de salle de bain prévoyaient une fente dans les placards, avec un trou dans le mur derrière. Une fois la lame usée, on l’insérait dans la fente et elle finissait ses jours dans le mur. L’idée était qu’il faudrait des siècles pour remplir l’espace entre les murs avec de minuscules lames, et d’ici là, on aurait sûrement pensé à une autre option. Avec l’amélioration et l’invention de nouvelles méthodes de rasage et la rénovation des salles de bain, les fentes murales ont souvent été recouvertes de plâtre sans que l’on s’en aperçoive, et cette pratique a été pratiquement oubliée. Jusqu’à ce que quelqu’un essaie d’abattre un vieux mur…

Les fentes dans les placards étaient bien pratiques, jusqu’à ce que l’on se mette à démonter le mur pour regarder derrière. A droite, une fente pour lame dans un ancien avion de ligne ! Certains trains en possédaient également.

Les boîtes et réceptacles pour lames de rasoir usagées

Le recyclage est une idée relativement moderne, mais le danger de manipuler des lames après usage a toujours été présent. Le consommateur bricolait souvent lui-même une ancienne boite de conserve pour servir de tirelire à lames usagées, et pouvait jeter le tout à la poubelle une fois remplie. Les fabricants de lames ont inventé des « dispensers » en plastique : on prend une lame neuve par le dessus, et on remet la lame usée par le dessous. Une fois que les lames neuves sont toutes usées, on jette le tout à la poubelle. Pratique pour que personne ne se blesse, mais l’association plastique et métal fait que ça ne sera pas recyclé.

Les fabricants et marques liées au rasage traditionnel ont alors saisi l’opportunité pour mettre sur le marché des boîtes décorées et souvent publicitaires, qu’elles pouvaient également offrir en promotion commerciale. Le collecteur de lames usagées est aujourd’hui un objet de collection très intéressant, et comme à notre habitude nous allons vous en présenter quelques unes.

Réceptacles en porcelaine

Principalement dédiées aux barbiers, ces tirelires reprenaient souvent des éléments iconiques de leur métier : barber poles, fauteuils de barbier, tête ou buste de coiffeur, blaireau de rasage… et parfois même un fameux quartet de chanteurs ! On les posait sur le comptoir, mais certaines pouvaient également s’accrocher au mur. Elles sont en général plus grandes que leurs homologues en métal.

Boîtes publicitaires

Ces jolies petites boites étaient soit scellées, soit ouvrables pour les vider et réutiliser à l’infini. Souvent produites pour les marques de lames, il en existait également pour d’autres produits. Souvent réalisées en métal, on en trouve également en plastique ou en bakélite, parfois même avec un trou pour soutenir un rasoir, et une encoche pour une boite de lames neuves. Très colorées, elles sont très recherchées aujourd’hui. Elles ne prennent pas de place et leurs couleurs complètent agréablement n’importe quelle collection !

Certains hôtels disposaient des boites dans leurs chambres pour leurs clients. Certaines boîtes publicitaires (à droite) étaient des tirelires multi-usages.

Réceptacles politiques

Une publicité dans le Saturday Evening Post de juin 1936 indiquait : « Republicain ou démocrate : votez pour un rasage sensationnel ! ». Lorsque vous achetiez un tube de crème à raser Listerine à 25 cents et un flacon de Listerine à 10 cents, vous pouviez choisir entre deux tirelires : un âne (symbole des démocrates) ou un éléphant (symbole des républicains), dessinées par Sam Berman, un caricaturiste bien connu du XXe siècle. La marque Listerine a par la suite produit une tirelire en forme de grenouille, très art déco, mais on ne sait pas pour qui elle votait.

Tirelires Listerine en céramique, années 1930.

Les réceptacles aujourd’hui

Aujourd’hui Feather propose des réceptacles scellés, voués à être jetés une fois remplis. Rockwell, Parker et d’autres proposent une boite en métal dont le fond peut se retirer (mais attention à la manipulation). Quant à Mühle, ils ont développé il y a quelques années une magnifique tirelire en porcelaine. Leurs premiers exemplaires étaient clos, et il fallait la jeter une fois rempli également. Après quelques messages d’utilisateurs outrés de devoir jeter un si beau réceptacle, Mühle a écouté ses clients et fait modifier sa tirelire pour y installer un opercule au fond. Fine Accoutrements propose un « retour aux sources » intéressant avec une plaque en céramique à mettre au mur !

Et vous, que faites-vous de vos lames usagées ?

13 Replies to “Le recyclage des lames : toute une histoire !”

  1. Pour le moment, je mets mes lames usagées dans une boîte de dix lames en plastique. Sans leur enveloppe, je devrais pouvoir en mettre plusieurs dizaines, après quoi… je ne sais pas, il faut que je trouve un conteneur en acier pour les y stocker et pouvoir jeter le tout pour qu’il soit recyclé.

    À noter que les boîtes de lames en plastique ont souvent une fente sur le côté inférieur, qui est censé permettre d’y glisser les lames usagées après en avoir pris une neuve par le dessus.

  2. Nous avons échangé (et rigolé) la semaine dernière à propos d’un de vos papiers (sur les dentifrices) mais je confirme que notre démarche consistant à ouvrir vos archives et à proposer votre savoir au partage relève d’une générosité à laquelle j’ai, encore une fois, plaisir à rendre hommage. Je ne regrette pas d’être abonné et je vous encourage à persévérer. Savez-vous comment on se faisait raser (les statues des Césars de la Rome antique présentent des joues glabres!) à l’époque de la république romaine? J’ai, moi, le souvenir d’un paysan auvergnat (à côté d’Aurillac) dans les années 80, qui descendait à vélo, le dimanche, pour se raser, torse nu, hiver somme été, à la fontaine de la place du village, avec son miroir, son blaireau, savon à barbe et coupe-choux, plus un cintre qu’il campait sur son vélo pour tenir ses petites affaires au sec le temps qu’il se rase. Il allait ainsi à la messe rasé de près. Et l’eau de la fontaine ne coûtait rien, en Auvergne, un chou est un chou… Amitiés!

  3. Bonjour,
    Sinon il est possible de les jeter dans une canette de votre boisson favorite. Même si vous la faites tomber, il y a peu de risques que les lames usagées en sortent.
    Et lorsqu’elle est pleine, vous pouvez jeter le tout dans le conteneur pour le recyclage des métaux.

  4. Je mets mes lames usagées dans une boîte de dragées de pâtes à mâcher ( vide bien sur ) avec un avertissement en rouge du contenu, pour le recyclage.

  5. Je remplis depuis des années mes pots en verre d’avant rasage Proraso. On n’imagine pas la quantité de lames qu’un seul de ces petits pots peut contenir. Quand il complètement plein, il va à la poubelle en toute sécurité.

  6. Ouais ! Il est bien cet article ! Quant à moi, je les jette à la poubelle « bleue » et suis conscient que ce n’est pas du tout dans l’air du temps.
    Je vais étudier la chose étant entendu que normalement cela pourrait être réutilisé et donc devrait permettre au manipulateur des déchets réutilisables de les stocker. Il faut donc qu’il puisse les manipuler en toute sécurité; la boite métallique ? Il faut qu’il puisse connaitre son contenu !
    Pas facile ! Faudrait envisager qu’une startup se jette sur le problème ou forcer les distributeurs à assurer le réemploi du produit !

  7. Très drôle et instructif billet ! Les photos de lames planquées dans les murs sont assez hallucinantes.
    Pour l’instant, je mets mes lames dans la poubelle bleue, celle des ordures ménagères. Une par semaine, pas énorme, comme gâchis.
    Pour ce qui est de mettre nos lames dans une petite boîte en métal, et de pense que l’ensemble (boîte de récupération + lames) pourrait se recycler tel quel, j’ai des doutes. Comment ça marche, sur les chaînes de tri ? Est-ce qu’ils prennent les boîtes remplies, ou est-ce qu’ils les écartent systématiquement ? Comment peuvent-ils savoir que ce qu’il y a dedans est recyclable ? Surtout si c’est fait par des machines, ou des humains qui foncent pour trier un maximum. Sur les chaînes de recyclage des emballages, ça doit être en vrac, ou rien : ils ont pour instruction de ne pas ouvrir les sacs plastiques.
    Bref, pas si facile !

    1. Quant à moi j’ai investi dans la petite boîte Rockwell, une fois remplie je transvase le contenu dans une plus grosse boîte en métal stockée au garage que j’irai déposer à la déchetterie le moment venu, j’en avais assez de jeter mes lames à la poubelle.

  8. J’utilise aussi les petites canettes de boissons, même si elles sont en alu et non en inox non ?? Une fois bien remplie, je la scelle et hop au conteneur métal.

  9. Je vais acheter un cadre photo et les « afficher » dedans.
    Parce que je trouve le design des lames et leurs graphismes plutôt sympa et comme j’utilise plusieurs marques…
    Pour plus de sécurité, je casse leur tranchant (angle de 90°) sur une pierre à affuter qui devient pour l’occasion une pierre à « désafuter » 😉
    Stockage dans un pot à confiture…

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