Où l’on apprend que c’est grâce à Napoléon que l’on peut se raser soi-même aujourd’hui.


Napoléon était réputé pour sa maniaquerie, notamment au sujet et la toilette et du rasage. Grâce à des témoignages et aux accessoires qui ont été créés pour lui ou à son honneur, La Razette vous présente les origines d’un rasage à l’impériale.

Le rasage quotidien de Napoléon

Afin de nous mettre directement dans le bain, lisons ensemble un témoignage de Louis Constant Wairy, dit Constant, l’un des valets de chambre proches de Napoléon.

Le rasoir à la main, la peur au ventre

Hébert, valet de chambre ordinaire, était un jeune homme fort doux, mais d’une excessive timidité. Il avait, comme au reste toutes les personnes de la maison, l’affection la plus dévouée pour le premier consul. Il arriva un jour, en Égypte, que celui-ci, qui n’avait jamais pu se raser lui-même (c’est moi, comme je le raconterai ailleurs avec quelques détails, qui lui ai appris à se faire la barbe), fit demander Hébert en l’absence de Hambart, qui le rasait ordinairement, pour remplir cet office. Comme il était quelquefois arrivé à Hébert, par un effet de sa grande timidité, de couper le menton de son maître, ce dernier, qui avait à la main des ciseaux, dit à Hébert lorsqu’il s’approchait tenant son rasoir: «Prends bien garde à toi, drôles; si tu me coupes, je te fourre mes ciseaux dans le ventre.» Cette menace, faite d’un air presque sérieux, mais qui n’était au fond qu’une plaisanterie, comme j’ai vu cent fois l’empereur aimera en faire, fit une telle impression sur Hébert, qu’il lui fut impossible d’achever son ouvrage. Il lui prit un tremblement convulsif, son rasoir lui tomba des mains, et le général en chef eut beau tendre le cou et lui crier vingt fois en riant: «Allons, achève donc, poltron,» non-seulement Hébert fut pour cette fois obligé d’en rester là, mais même depuis ce temps il lui fallut renoncer à remplir l’office de barbier.

Constant prend le relais

Nécessaire de toilette de voyage
Nécessaire de toilette de voyage

[…]Aussi lorsque le premier consul avait été sur le point de partir pour sa première tournée dans le nord, M. Hambard lui avait demandé la permission de ne pas en être, alléguant, ce qui était trop vrai, le mauvais état de sa santé. «Voilà comme vous êtes, dit le premier consul, toujours malade et plaignant! Et si vous restez ici, qui donc me rasera?—Mon général, répondit M. Hambard, Constant sait raser aussi bien que moi.» J’étais présent et occupé dans ce moment même à habiller le premier consul. Il me regarda et me dit: «—Eh bien! monsieur le drôle, puisque vous êtes si habile, vous allez faire vos preuves sur-le-champ; nous allons voir comment vous vous y prendrez.» Je connaissais la mésaventure du pauvre Hébert, que j’ai rapportée précédemment, et ne voulant pas en éprouver une pareille, je m’étais fait depuis long-temps apprendre à raser. J’avais payé des leçons à un perruquier pour qu’il m’enseignât son métier, et je m’étais même, à mes momens de loisir, mis en apprentissage chez lui, où j’avais indistinctement fait la barbe à toutes ses pratiques. Le menton de ces braves gens avait eu passablement à souffrir avant que j’eusse assez de légèreté dans la main pour oser approcher mon rasoir du menton consulaire. Mais à force d’expériences réitérées sur les barbes du commun, j’étais arrivé à un degré d’adresse qui m’inspirait la plus grande confiance. Aussi, sur l’ordre du premier consul, j’apprête l’eau chaude et la savonnette, j’ouvre hardiment un rasoir, et je commence l’opération. Au moment où j’allais porter le rasoir sur le visage du premier consul, il se lève brusquement, se retourne, et fixe ses deux yeux sur moi avec une expression de sévérité et d’interrogation que je ne pourrais rendre. Voyant que je ne me troublais pas, il se rassit en me disant avec plus de douceur: «Continuez;» ce que je fis avec assez d’adresse pour le rendre très-satisfait. Lorsque j’eus fini: «Dorénavant, me dit-il, c’est vous qui me raserez.» Et depuis lors, en effet, il ne voulut plus avoir d’autre barbier que moi. Dès lors aussi mon service devint beaucoup plus actif; car tous les jours j’étais obligé de paraître pour raser le premier consul, et je puis assurer que ce n’était pas chose facile à faire. Pendant la cérémonie de la barbe, il parlait souvent, lisait les journaux, s’agitait sur sa chaise, se retournait brusquement, et j’étais obligé d’user de la plus grande précaution pour ne point le blesser. Heureusement ce malheur ne m’est jamais arrivé. Quand par hasard il ne parlait pas, il restait immobile et raide comme une statue; et l’on ne pouvait lui faire baisser, ni lever, ni pencher la tête, comme il eût été nécessaire, pour accomplir plus aisément la tâche. Il avait aussi une manie singulière, qui était de ne se faire savonner et raser d’abord qu’une moitié du visage. Je ne pouvais passer à l’autre moitié que lorsque la première était finie. Le premier consul trouvait cela plus commode.

Convaincre Napoléon de se raser seul

Plus tard, quand je fus devenu son premier valet de chambre, alors qu’il daignait me témoigner la plus grande bonté, et que j’avais mon franc-parler avec lui autant que son rang le permettait, je pris la liberté de l’engager à se raser lui-même; car, comme je viens de le dire, ne voulant pas se faire raser par d’autres que moi, il était obligé d’attendre que l’on m’eût fait avertir, à l’armée surtout où ses levers n’étaient pas réguliers. Il se refusa long-temps à suivre mon conseil, et toutes les fois que j’y revenais:—Ah! ah! monsieur le paresseux! me disait-il en riant; vous seriez bien aise que je fisse la moitié de votre besogne? Enfin j’eus le bonheur de le convaincre du désintéressement et de la sagesse de mes avis. Le fait est que je tenais beaucoup à le persuader; car, me figurant quelquefois ce qui serait nécessairement arrivé si une absence indispensable, une maladie ou un motif quelconque m’eût tenu éloigné du premier consul, je ne pouvais penser, sans frémir, que sa vie aurait été à la merci du premier venu. Pour lui, je suis presque sûr qu’il n’y songeait pas; car, quelques contes qu’on ait faits sur sa méfiance, il est certain qu’il ne prenait aucune précaution contre les piéges que pouvait lui tendre la trahison. Sa sécurité, sur ce point, allait même jusqu’à l’imprudence. Aussi tous ceux qui l’aimaient, et c’étaient tous ceux dont il était entouré, cherchaient-ils à remédier à ce défaut de précaution par toute la vigilance dont ils étaient capables. Je n’ai pas besoin de dire que c’était surtout cette même sollicitude pour la précieuse vie de mon maître, qui m’avait engagé à insister sur le conseil que je lui avais donné de se raser lui-même.

Des débuts difficiles

Constant et Roustan aident Napoléon à se raser
Constant et Roustan aident Napoléon à se raser

Les premières fois qu’il essaya de mettre mes leçons en pratique, c’était une chose plus inquiétante encore que risible de voir l’empereur (il l’était alors), qui, en dépit des principes que je venais de lui donner en les lui démontrant par des exemples réitérés, ne savait pas tenir son rasoir, le saisir à poignée par le manche, et l’appliquer perpendiculairement sur sa joue sans le coucher. Il donnait brusquement un coup de rasoir, ne manquait pas de se faire une taillade, et retirait sa main au plus vite en s’écriant:—Vous le voyez bien, drôle! vous êtes cause que je me suis coupé! Je prenais alors le rasoir, et finissais l’opération. Le lendemain, même scène que la veille, mais avec moins de sang répandu. Chaque jour ajoutait à l’adresse de l’empereur; et il finit, à force de leçons, par être assez habile pour se passer de moi. Seulement il se coupait encore de temps en temps, et alors il recommençait à m’adresser de petits reproches; mais en plaisantant et avec bonté. Au reste, de la manière dont il s’y prenait et qu’il ne voulait pas changer, il était bien impossible qu’il ne lui arrivât pas souvent de se tailler le visage; car il se rasait de haut en bas, et non de bas en haut comme tout le monde, et cette mauvaise méthode, que tous mes efforts ne purent jamais changer, ajoutée à la brusquerie habituelle de ses mouvements, faisait que je ne pouvais m’empêcher de frémir chaque fois que je lui voyais prendre son rasoir. […]

Napoléon prend goût au rasage

Pendant ces conversations, l’empereur se rasait, car j’étais parvenu à le décider à se charger seul de ce soin. Souvent il oubliait qu’il n’était rasé que d’un côté. Je l’en avertissais; il riait et achevait son ouvrage.
[…]

Le bain pris ou les dépêches lues, il commençait sa toilette. Je le rasais, avant que je lui eusse appris à se raser lui-même. Quand l’empereur eut pris cette habitude, il se servit d’abord, comme tout le monde, d’un miroir attaché à la fenêtre; mais il s’en approchait de si près et se barbouillait si brusquement de savon, que la glace, les carreaux, les rideaux, la toilette et l’empereur lui-même en étaient inondés; pour remédier à cet inconvénient, le service s’assembla en conseil, et il fut résolu que Roustan tiendrait le miroir à Sa Majesté. Lorsque l’empereur était rasé d’un côté, il tournait l’autre côté au jour et faisait passer Roustan de gauche à droite ou de droite à gauche, suivant le côté par lequel il avait d’abord commencé

Source : Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l’empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Auteur : Louis Constant Wairy.

Le rasage à l’Impériale

Napoléon rasé par Wellington

Le rasage quotidien, du temps de Bonaparte, n’était pas la norme. Les français se rasaient le dimanche pour la messe, les plus fortunés pouvaient avoir de l’aide de Maison pour s’en charger ou aller chez le barbier. Comme on l’a vu plus haut, Napoléon a appris à le faire lui-même, à tel point qu’une fois devenu Empereur, il n’hésitait pas à le faire devant ses généraux et ses conseillers. Bien sûr, ceux-ci ont voulu imiter l’empereur et bientôt tous les gens de la haute se sont mis à se raser eux-mêmes, c’est-à-dire à procéder à un rasage à l’impériale. Une expression créée à cette époque et qui a duré un petit peu ! Si l’expression n’est plus d’actualité aujourd’hui, on garde tout de même l’idée de se raser soi-même, même si tout le monde ne le fait pas au coupe-choux.

Puisque l’Empereur lançait une mode, les fabricants de coupe-choux ont vu une nouvelle clientèle arriver. Il ont alors mis les bouchées doubles non seulement pour travailler des aciers de plus en plus purs et adaptés au rasage, mais également pour proposer des rasoirs de plus en plus beaux, décorés d’or et d’ivoire, d’écaille et d’argent. Les rasoirs sont devenus de plus en plus faciles à utiliser tout en gagnant en qualité. C’est ainsi que, grâce à Napoléon, de plus en plus de gens se sont mis à se raser eux-mêmes.

Pour en savoir plus sur l’histoire du coupe-choux, lisez cet article.

Ci-contre, Napoléon Ier se faisant raser par Wellington. 31 juil. 1815 Photo (C) RMN-Grand Palais / Gérard Blot Rueil-Malmaison, châteaux de Malmaison et Bois-Préau

Les accessoires de rasage de Napoléon

Les accessoires de rasage de l’empereur que l’on a pu recenser sont nombreux. Il a également inspiré divers fabricants à créer des accessoires en son honneur, en voici quelques uns.

Le nécessaire de voyage de Napoléon

Le nécessaire que vous pouvez voir ci-dessous est exposé au Louvres. Il date de 1806, et a apparemment ensuite appartenu au tsar Alexandre 1er. Durant ses campagnes militaires, Napoléon emporte avec lui tout son nécessaire de toilette : blaireau ou brosse à barbe, peignes, rasoir, ciseaux, lime à ongles, brosse à dents et flacons d’eau de Cologne. Pour cette dernière, c’est Farina qu’il préférait. Il glissait le flacon « Rosoli », tout en longueur, dans ses bottes de cavalier.

Rasoir du nécessaire de Napoléon Ier puis du tsar Alexandre Ier
Rasoir du nécessaire de Napoléon Ier puis du tsar Alexandre Ier. Biennais, Martin-Guillaume, 1806. Musée du Louvre.

Un rasoir droit de Napoléon

Présent lui aussi au Louvres, ce rasoir anglais a appartenu à Napoléon. Comme quoi, il a bien fallu reconnaître quelques qualités aux artisans de la perfide Albion !

Rasoir de l’empereur Napoléon Ier – Marque « MacDaniel », Oxford. Musée du Louvre.

Blaireaux de rasage Plisson

Plisson, créée en 1808, a été fournisseur officiel de l’empereur Napoléon dès leurs débuts, et est aujourd’hui le plus ancien fabricant de blaireaux à raser dans le monde qui soit encore en activité. La Maison Plisson constitue une référence française indiscutable pour tous les professionnels du rasage. Coutumier du luxe depuis toujours, l’établissement est spécialisé dans le poil de blaireau de rasage naturel. Elle reprend aujourd’hui l’image de l’Aigle, qui a été l’emblème de Napoléon durant de nombreuses années. Son regard tourné vers l’avenir annonce encore pour Plisson de belles années devant eux.

Un blaireau de rasage qui aurait appartenu à Napoléon

Vendu aux enchères en 2020, ce blaireau de rasage aurait appartenu à Bonaparte alors qu’il était général. Il a été gravé à posteriori, on peut y lire : « Blaireau Ayant Servi / Au Général Bonaparte / Dans / Ses Compagnes d’Italie ». Les campagnes ayant eu lieu entre 1796 et 1797, On peut douter de la véracité des faits quand un accessoire est gravé de cette façon, mais Napoléon a eu tellement de matériel durant sa vie que l’on peut y croire. En tout cas, ce blaireau estimé à $600-$700 est parti pour $2,200 le 11 Nov 2020.

Le blaireau personnel de Napoléon
Le blaireau personnel de Napoléon

Les rasoirs de Napoléon à Ste Hélène

Jusqu’à sa mort, Napoléon continuera de se raser. Même exilé à Ste Hélène, il obtient de quoi procéder à un rasage « à l’impériale », grâce notamment à une paire de petits rasoirs dont les chasses en écaille de tortue et argent révèlent un savoir-faire rigoureux et un goût exquis pour l’époque.

Une inspiration pour le monde du rasage

Rasoirs « Napoléon » par J&W Ragg

Une marque de rasoirs anglais réputée, appelée J&W Ragg, a déposé une marque « Napoléon » pour ses rasoirs en 1839. Elle a alors commencé à faire de la publicité en utilisant la célèbre image de Napoléon traversant les Alpes, peint par Jacques-Louis David. Les autres marques sont « PARAGON » et « PLANTAGENET ». Tandis que William supervisait les ateliers, John était le vendeur itinérant qui vendait des rasoirs aux pourvoyeurs de luxe de Londres et de Birmingham. 

Publicité J&W Ragg
Publicité J&W Ragg

Je ne sais pas exactement pourquoi ils ont choisi d’appeler leur marque Napoléon. Mais comme on le disait plus haut, puisque Napoléon se rasait lui-même, pourquoi pas nous ? Leur production en tout cas était ce qui se faisait de plus beau à l’époque. Ci-dessous, une lame de 1845, au décor gravé à l’acide.

Rasoir droit J&W Ragg Napoleon
Rasoir droit J&W Ragg « Napoleon ». Collection personnelle.

Sets de Rasage Napoléon

Napoléon a inspiré d’autres fabricants dans la production d’articles de rasage, dont voici quelques exemples :

Napoleon & Josephine Mug and Razor 350-500-sold for 800

Ce set de rasage traditionnel comprend un mug à l’américaine et un rasoir droit dont la chasse est à l’effigie de Joséphine de Beauharnais.

Epoque fin XIXème siècle environ. Estimé à 350-500$, ce set s’est vendu pour 800$ aux enchères aux USA.

Ce coffret de rasage traditionnel Plisson est composé d’un blaireau fabriqué et assemblé à la main en France en résine bleu Lazuli. La marque rend hommage à Napoléon qui a fait leur notoriété en la choisissant comme fournisseur officiel.

L’Empereur leur a inspiré les couleurs de ce coffret, le bleu Napoléon et la résine Lazuli inspirée du Lapis-Lazuli, une pierre qui rappelle les campagnes d’Egypte dont les découvertes ont inspiré de nombreux artistes et scientifiques de l’époque. Un coffret en édition limitée qui ferait un beau cadeau !

Un semainier Thiers-Issard

En 2013, Thiers-Issard tenait elle aussi à montrer son savoir-faire et a ainsi créé un semainier qui commémorait l’épopée du 1er empire. Les 7 lames « La légende » choisies par Thiers-Issard ont été polies miroir avec le plus grand soin. Le dos de chaque lame présente un feston différent, en accord avec les personnages représentés sur les chasses. Parlons-en, de ces chasses ! Toutes en ivoire sculptées à la main (ce qui représente 200 heures de travail) par Philippe Voissière, coutelier d’art à Thiers.

Semainier « Napoléon », collection Thiers-Issard.

Chaque extrémité représente un personnage emblématique du 1er empire. Bonaparte général est accompagné de festons en feuilles de laurier, Napoléon empereur de festons « Thiers-Issard », Joséphine de Beauharnais de festons en boutons de roses, Marie-Louise d’Autriche de festons en clé de sol, un officier de la garde impériale avec son bicorne de festons en colombe, un carabinier avec son casque à cimier de festons en motifs égyptiens, et enfin un fantassin avec son shako de festons en motifs géométriques.


Qui l’eut cru ? Napoléon tient une place importante dans l’Histoire, il a fait beaucoup parler de lui, mais c’est surtout son aide à la popularisation du rasage qui nous intéresse !

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